L’Arcep estimait encore, avant les vacances d’été, que le nombre d’adresses IPv4 publiques disponibles permettrait de tenir jusqu’en mars 2020. Mais depuis, les demandes d’allocation se multiplient et le stock restant fond comme neige au soleil. La date d’épuisement est désormais prévue… le 5 novembre 2019.
Passé cette date, le registre européen RIPE basculera dans un mode de strict rationnement. Les organisations souhaitant se fournir devront donc s’inscrire sur liste d’attente. Le cas échéant, ils recevront une petite plage de 256 adresses. Pour ceux détenant déjà des plages d’adresses, ils n’ont quasiment aucune chance de recevoir cette obole. « Nous allons privilégier les acteurs qui n’ont encore jamais bénéficié d’une allocation d’adresses IPv4 », prévient Marco Schmidt, responsable du développement des règles et de la politique interne au RIPE.
Ces adresses proviendront essentiellement d’entreprises en faillites. Les acteurs historiques ayant bénéficié d’une large allocation par le passé et n’ayant plus usage de certaines plages, peuvent évidemment les retourner au RIPE. Mais ce cas sera plutôt rare. « Les adresses IPv4 sont devenues des avoirs stratégiques. Presque personne ne voudra s’en séparer », estime Vincentus Grinius, PDG de Heficed.
Le nombre de transferts d’adresses IP ne devrait pas franchement s’envoler à l’avenir pour les mêmes raisons que vues ci-dessus. Cependant, le prix de l’adresse IPv4 pourrait fortement augmenter en même temps que l’offre se raréfie. On trouve actuellement une vingtaine d’offres au niveau global sur le site d’enchères auctions.ipv4.global. Le prix moyen d’achat a plus que doublé, passant de 9 à 21 dollars, en l’espace de trois ans.
Cette pénurie inspire d’ores et déjà les esprits fraudeurs qui sont à l’affût pour récupérer des stocks d’adresses IPv4. Ces dernières années, quelques centaines de cas ont déjà atterri sur les bureaux du RIPE.
Le RIPE a donc renforcé ses contrôles pour remédier à cette situation. Plus de 600 enquêtes, soit deux fois plus que l’année précédente, ont été réalisées en 2018. Les membres sont désormais priés de vérifier régulièrement que leurs données sont correctes et à jour.
Mais cela ne va toutefois pas résoudre le problème fondamental de la pénurie. Aujourd’hui, aucun acteur Télécom ne peut faire l’impasse sur l’IPv4. Même si l’IPv6 se développe, cette technologie ne connecte qu’environ un quart de la Toile. « L’Internet ne cessera pas de fonctionner, mais il cessera de grandir. Cette pénurie va surtout affecter les nouveaux entrants et les acteurs en croissance, car ce sont eux qui ont le plus besoin de nouvelles adresses IPv4 publiques. Soit ils arrivent à s’en procurer sur le marché secondaire, soit ils devront partager les adresses IPv4 entre plusieurs clients » explique Vivien Guéant, chargé de mission au sein de l’unité « Internet ouvert » de l’Arcep.
Une situation loin d’être neutre pour l’utilisateur final puisqu’elle influe sur la qualité de service. Effectivement, lorsqu’un opérateur récupère des adresses IPv4 depuis un acteur localisé dans un autre pays ou un autre continent, il peut arriver que cette information géographique ne soit pas mise à jour.
Le partage d’adresses a également des défauts puisqu’il permet de connecter plusieurs centaines voire milliers de clients sur une seule adresse IPv4. Et cela complexifie sensiblement la maintenance pour l’opérateur et rend difficiles, voire impossibles, certains usages « comme le peer-to-peer, l’accès à distance à des fichiers partagés sur un NAS, l’accès à des systèmes de contrôle de maison connectée, certains jeux en réseau », explique l’Arcep dans son « Suivi de l’épuisement des adresses IPv4 ».
La police pâtit également de ce partage forcé. Les enquêtes auront du mal à aboutir si les adresses sont de plus en plus partagées puisqu’elle s’appuie souvent sur une adresse IP pour trouver un délinquant numérique. Pour pallier cette situation, les forces de police européennes souhaiteraient que les opérateurs et FAI réduisent le nombre de clients partagés par adresse IPv4. En Belgique, par exemple, l’industrie des Télécoms a joué le jeu et l’instauration d’un code de bonne conduite a permis de limiter le ratio d’abonnés à 16/1.
La seule solution, à long terme, est la généralisation d’IPv6. « Les acteurs du secteur n’ont jamais vu beaucoup d’intérêt dans l’IPv6, car cette technologie n’avait pas d’effets immédiats : tous les sites Web et clients qui ont de l’IPv6 ont également de l’IPv4. IPv6 n’est utile que si tout le monde s’y met. Il faudra probablement garder l’IPv4 pendant encore longtemps. Certains pensent même que l’IPv4 ne s’arrêtera jamais », ajoute Vivien Guéant. À moins de faire comme la Biélorussie qui vient de déposer un décret présidentiel contraignant ces FAI à déployer l’IPv6 auprès de tous les utilisateurs d’ici le 1er janvier 2020. C’est à ce jour le seul pays à forcer le déploiement de l’IPv6 par une loi.
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Source : 01net