Internet étant considéré comme un espace, est-il pour autant possible d’en fournir une représentation graphique complète, d’en tracer une ou des carte.s. ? Artistes et experts essaient depuis longtemps.
Pour trouver une réponse, le premier outil a été Google. Les résultats en français montrent principalement des cartes d’Internet vues de l’extérieur. Pour ceux en anglais, on obtient quelques visualisations du poids de sites en nombre de connexions.
Le géographe et chercheur à l’université de Lausanne Boris Beaude explique que cartographier Internet « permet de mieux saisir l’architecture [d’Internet et de ses sous-espaces, comme les sites Web], les acteurs qui les produisent, la réalité de ce qu’il s’y passe et les enjeux de pouvoir sous-jacents ».
Une idée pas foncièrement récente puisque lui-même s’est penché sur le sujet à la fin des années 90. Il avait alors constaté que « la suite des protocoles TCP/IP, ou même la seule commutation de paquets, repose sur des considérations essentiellement spatiales : comment rendre la communication la plus efficiente possible sur des réseaux hétérogènes et vulnérables ».
Au-delà des chercheurs, certains artistes se sont aussi penchés sur la question. Un designer américain, Chris Harrison, a représenté les trajets que réalisent les données à travers le monde. Il explique son geste assez simplement : « Les humains ont toujours eu tendance à représenter graphiquement les espaces dans lesquels ils évoluent. Or Internet, on s’y promène, ça bouge, il y a des millions, des trillions d’outils connectés entre eux ».
Louise Drulhe cherchait à représenter Internet pour son diplôme de l’Ecole des Arts-Déco. Elle a alors été confrontée à deux difficultés. La première est que l’espace au sein duquel nous évoluons en ligne bouge sans cesse. Elle explique ainsi à Numerama « c’est terrible, de vouloir représenter le cyberespace, parce que la rapidité à laquelle il change n’a rien à voir avec le géographique. Lorsque j’ai commencé à travailler sur mes premières cartes, en 2013, on parlait à peine de l’Internet chinois par exemple ».
La deuxième est le très faible nombre de représentations de l’espace en ligne. « En 2013, je travaillais sur un mémoire sur l’espace d’Internet, mais j’ai vite réalisé le manque d’information sur l’espace en ligne au sens où je l’entendais. On trouvait quelques cartographies anciennes, des années 90. Mais cela n’avait rien à voir avec le cyberespace actuel » indique la jeune femme.
D’après Boris Beaude, le manque de représentations s’explique par le fait que ce sont les « imaginaires puissants, qui laissent penser que tout le vocabulaire spatial associé à Internet serait métaphorique ». Il attribue ce mélange à « une conception matérialiste de l’espace ». Le territoire et « la matérialité du sol sur lequel reposent nos pieds » seraient trop souvent confondus avec l’idée de spatialité.
Alors quelles mesures pour un espace en ligne ? Pour Boris Beaude, « la distance se pense en termes d’écarts, de contact ou d’interaction. Cela permet de penser la relation et la façon dont des êtres (et de plus en plus d’objets) sont reliés et interagissent ». Et de montrer les architectures qui facilitent ces contacts.
Louise Drulhe a opté pour une multiplicité d’hypothèses qui donnent à voir un aspect différent d’Internet. Mais toutes répondent au même besoin : « se représenter Internet aide à comprendre les enjeux (géo)politiques qui le traversent ».
L’artiste ne s’arrête pas là puisque sa dernière hypothèse est celle d’une architecture d’Internet qui serait propre à chacun. Il est peut-être impossible de cartographier Internet pour la simple et bonne raison qu’aucune route n’y est empruntée exactement deux fois de la même façon.
Boris Beaude répond à cela en opposant navigation personnelle et pouvoir des plus grands réseaux mondiaux : « Google et Facebook sont les deux acteurs qui disposent de la plus grande visibilité sur les spatialités numériques contemporaines ». Paradoxalement, donc, « s’il est difficile de cartographier Internet tant les relations qui en constituent l’espace sont démesurées et réticulaires, il n’a jamais été aussi simple pour ceux qui en ont la maîtrise de cartographier la spatialité des individus ».
Et d’en conclure qu’« il faudra bien que les politiques se demandent ce qu’ils cherchent à contrôler : les choses [en l’occurrence, les données, ndlr] ou le mouvement des choses et l’architecture qui rend ce mouvement possible ». Un espace transfrontalier et démesuré par excellence.
Lire l'article
Source : Numerama